Wolf.17 Posted September 25, 2017 Share Posted September 25, 2017 Dans son restaurant, Alexandre Gauthier a su mettre en scène un voyage gustatif et esthétique qui commence par des mots doux… La table la plus excitante du Touquet ne se situe pas au Touquet, ce serait trop facile, mais à une quinzaine de kilomètres, à La Madelaine-sous-Montreuil. À la Grenouillère (deux étoiles Michelin, 19/20 Gault&Millau), Alexandre Gauthier propose une cuisine, une esthétique, un univers. Rarement un chef a affiché une telle cohérence entre un lieu et sa cuisine. Ici, il y a un début et une faim - de déguster, de s'étonner, de s'abandonner au sortilège d'un voyage immobile. Il est facile de copier, mais très difficile est de se ressembler. Pas de doute: comme seuls les vrais grands, Gauthier, 38 ans, se ressemble. Au fil des années, le service est devenu plus souple ; aujourd'hui parfaitement délié, il a perdu une relative arrogance qui heurtait l'esprit maison. On vous remet d'abord, comme un billet doux, le menu éphémère, imprimé sur une feuille fragile, élégamment froissée: c'est toujours émouvant, de recevoir une lettre, et là, le premier frisson provient des mots et du mystère gustatif à venir qu'ils contiennent. Puis, comme un magicien vous propose de tirer une carte, on vous tend des amuse-bouches. Ce jour-là, en lever de rideau, une foudroyante association d'oxalis et de câpre: de l'acide et de la poudre, vous comprenez tout de suite que le voyage va vous emmener loin, sans recourir au subterfuge des épices car il n'y en a pas sauf, occasionnellement, du safran. On retrouvera d'ailleurs, au gré du grand menu (onze services pour 135 €, qui dit mieux dans un établissement de ce standing?), certains des ingrédients utilisés pour aiguiser l'appétit: le rite de l'amuse-bouche fait partie prenante du repas, ce n'est pas un alibi tape-à-l'œil mais une ouverture. Comme à l'opéra, quand l'orchestre dévoile les grands thèmes qu'il déclinera après, en les approfondissant. «Poisson des sables, fleur de courgette…» Les assiettes sont, depuis les origines, parmi les plus belles du monde. Le chef décentre, colore, bouscule, échafaude, c'est splendide, bouleversant parfois. Prenez le «melon d'eau, langoustine…» (il y a toujours des points de suspension dans les intitulés): des tours asymétriques de fruit à chair sucrée, telles les sentinelles toscanes de San Gimignano, avec un petit dôme de crustacé coiffé de pousses à son sommet et des glaçons poivrés en guise de douves. Magnifique. Raconter le menu dans le détail n'aurait aucun sens: il change tout le temps Ce qui compte, ce sont les fulgurances gravées dans le répertoire des émotions. La grosse huître grillée, avec son pistou de roquette et une écume de bord de mer, puissante alliance du meilleur de l'océan et de la singulière feuille de salade. L'extraordinaire atoll constitué de févettes, petits pois, feuilles de capucine, manteau vert dans lequel se blottit un œuf de caille: un plat d'anthologie. Le «poisson des sables, fleur de courgette…»: un épais filet non pas de sole ou de turbot, comme partout ailleurs, mais de vive, servi à côté de la fleur incroyablement sucrée à laquelle est attaché un bref tronçon de courgette. Le sable est là, sous forme de peau de cochon frite (du bon vieux gratton) et pulvérisée. Impeccable. Le «cuir de courgette jaune…», comme un grand carré de lasagne croquante posée sur une purée de cucurbitacée rehaussée d'éclats de cédrat confit et d'un trait d'huile d'olive. La volaille de Licques, cuite dans une marmite magique, accompagnée de quartiers de pêches et parfumée de verveine. Le miel exquis, volé à la ruche du jardin, que vous mâchez jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une bille de cire dans votre bouche. La rhubarbe au sucre de bouleau - le plus cinglant des rouleaux de printemps. Apothéose: une mantille de chocolat posée sur une crème d'amandes, composition sur laquelle, à l'aide d'une pipette, une main experte dépose trois gouttes de vinaigre cristal qui vont désarmer la puissance hégémonique du cacao vénézuélien. À la Grenouillère, vous n'êtes pas au restaurant, mais chez un homme qui s'est trouvé et ne demande qu'à partager sa sensibilité, jusque dans ses «huttes», chambres de rêve éparpillées dans le jardin. Plus qu'un grand chef, Alexandre Gauthier, c'est quelqu'un. La Grenouillère. Menus à 48 et 95 € (déjeuner), 100 ou 135 €. Carte: environ 100 €. 19, rue de la Grenouillère, La Madelaine-sous-Montreuil (62). Tél.: 03 21 06 07 22. Link to comment Share on other sites More sharing options...
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